Les LT

par Patrick Barrabès

France, fin des années 60. Pendant près de 10 ans, la moto s’est enfoncée dans l’oubli, tuée par les assurances et la prolifération des 4 CV et autres voitures d’occasion, devenues abordables pour le Français moyen. Seuls quelques inconditionnels, regardés d’un œil désapprobateur par le reste de la population, s’obstinaient à sillonner nos routes sur des engins souvent d’un autre âge.
La situation du marché moto

L’arrivée des constructeurs japonais, vers le milieu de la décennie a permis de voir, timidement au début, puis par bateaux entiers ensuite, l’arrivée de machines dont la tenue de route et le freinage étaient certes perfectibles, mais dont la propreté, la fiabilité et la facilité d’utilisation étaient sans commune mesure avec les dégoulinantes anglaises et les délicates italiennes. Les noires et indestructibles allemandes dominaient encore le lot des plus de 500, mais leur prix, trop sélectif, les réservaient à une élite ou aux administrations.

Les petits constructeurs français avaient tous disparus. Le dijonnais Terrot avait été dévoré par le lion de Sochaux qui fabriquait désormais rue Voltaire des trains avant de voitures. Seuls les deux plus grands, Motobécane et Peugeot, avaient traversé sans encombre les années noires, solidement appuyés sur une gigantesque production de cyclomoteurs, engins populaires par excellence et dont des millions d’exemplaires remplissaient les parkings 2 roues de nos usines.

Motobécane avait hissé à bout de bras la production de la « Z », devenue confidentielle, jusqu’au seuil de 1964. Depuis, à part quelques cyclos immatriculés pour devenir « vélomoteurs », plus rien. Mais des bruits de plus en plus insistants circulaient chez les concessionnaires Motobécane et Motoconfort et enfin, le 18 octobre 1969, Moto Revue, sur sa célèbre couverture cerclée de rouge, présentait une petite 125 bicylindre, bien démarquée de la concurrence, et faisait renaitre l’espoir dans le cœur des francophiles.

Parcourons donc la carrière de cette attachante 125 qui a vu les débuts de beaucoup d’entre nous (dont les miens) et qui 28 ans après sa création, charme plus que jamais les jeunes loups que nous étions dans les années 70 qui bien que devenus quadragénaires, ne dédaignent pas parfois « une petite bourre » à son guidon.

La DC 125 (standard)

Présentée officiellement au salon de 1969, la 125 standard se présente sous la forme d’un bicylindre 2 temps à balayage Shnurle (canaux de transferts orientés à 120°) et admission par la jupe du piston, techniques utilisées depuis longtemps sur la Mobylette.

Son moteur, original à plus d’un titre, présente des solutions techniques se démarquant fortement de la concurrence. Je citerai en vrac : le vilebrequin composé de seulement 4 pièces forgées emmanchées en « pot » et incluant un roulement central graissé à vie (avec l’expérience, cette solution n’était pas très heureuse et créera beaucoup de difficultés aux restaurateurs de ces modèles). Le revêtement intérieur des cylindres : un chromage dur par la suite « bombardé » d’arcs électriques créant des micro porosités nécessaires à la retenue de l’huile et la boite de vitesses croisillon reprenant un principe cher à Maico dans les années 60. Cette boite, seulement composée de deux arbres, possède un arbre primaire monobloc avec 5 pignons taillés dans la masse. Le secondaire, un arbre creux, reçoit les 5 pignons récepteurs montés fou et rendus successivement solidaires de leur moyeu par un double doigt de verrouillage monté sur une tige actionnée par le sélecteur et maintenue en position par une bille. Avec le roulement central de vilebrequin, ce système de verrouillage constitue le deuxième défaut majeur des 125 MB. En effet, ce procédé est exempt de tout reproche lorsque la moto est utilisée par une main experte (ce système « passe » sans aucun problème les 28 CV de la 125 S) mais supporte très mal la brutalité et les changements de vitesses approximatifs. Or, à qui est destinée principalement une 125 ? Aux conducteurs novices.

La boite et le vilebrequin sont insérés dans un carter moteur qui s’ouvre sur un plan horizontal. La précision de l’usinage des plans est telle que les deux demi parties s’assemblent sans joint. Celui-ci serait même nocif pour un bon serrage des roulements. On retrouve sur ce moteur tout les soins apporté lors de son étude et le niveau élevé de compétence de ses concepteurs en particulier par la visserie qui n’est pas au pas ISO (6 x 100 et 7 x 100) mais utilise un pas plus gros (6 et 7 x 125) permettant une meilleure tenue dans l’alliage léger de fonderie. A noter également l’allégement des goujons de cylindres, réduits sur leur partie centrale au diamètre de fond de filets (calcul de résistance des matériaux).

Les carburateurs, des Gurtner Type 2 SP 19 – 730, très classiques, sont actionnés par une poignée de gaz SAKER tirant un unique câble séparé en deux par un répartiteur situé sous le réservoir. Les volets de starter sont actionnés par palonnier. Le problème de tenue de ralenti souvent constaté est du aux deux canaux de raccord ralenti en caoutchouc (référence 13356) reliant la cuve centrale aux corps de carbu. Après plus de 20 ans , ils sont souvent craquelés ou bouchés. La vaste chambre de tranquillisation ouverte sur l’extérieur au travers de deux filtres à air est grise sur ce modèle.

L’allumage Novi du type à décharge de thyristor est commandée par un capteur magnétique double prenant l’information sur deux picots situés sur la périphérie du rotor (un par cylindre). Le signal est amplifié par deux blocs électroniques cylindriques. L’étincelle est transmise aux bougies par deux bobines haute tension dont l’aspect est identique à celles montés sur les spéciales 98. L’impédance est différente. Alors que la concurrence utilisait encore des allumages à rupteurs, Motobécane par l’utilisation d’un allumage électronique agissait encore une fois en novateur. Bien sur, comme pour toute innovation, il fallait essuyer les plâtres. Le point faible de cet allumage était une mauvaise résistance aux variations d’intensité électrique. En particulier, il faut impérativement éviter d’arrêter le moteur en donnant un grand coup de gaz tout en appuyant sur le bouton de mise à la masse (sous le phare). La sanction était souvent la rupture d’un bloc électronique. Ce défaut a été supprimé en mai 1973 par l’adjonction d’une diode de régulation : la MOV.

A signaler la livraison aux P.T.T, d’une série de 125 équipées d’un volant magnétique pourvu de deux rupteurs. Originalité encore pour la partie cycle avec la présence d’un cadre double berceau passant au dessus du moteur. Cette technique, assez peu fréquente en construction motocycliste, permet une rigidité accrue. En outre, elle permet un gain de poids non négligeable par réduction de la longueur des tubes. Le bras oscillant est articulé sur deux Silentblocs. La fourche, une Ceriani, et les amortisseurs arrières, des Blistein belges sur les modèles de présérie remplacés rapidement par des Telesco espagnols à ressorts apparents, remplissent parfaitement leur office. Les freins, des tambours simple came Grimeca sont supérieurs en puissance à ce que l’on pouvait trouver chez la concurrence. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le premier essai de cette moto effectué par Christian Bourgeois pour Moto-Revue. Christian avoue avoir été obligé de ré-accélérer suite à son premier freinage à Montlhéry. Il ne s’attendait pas à un freinage aussi court. Le seul point noir relevé pendant son essai est dû à la garde au sol, trop faible par la faute d’une béquille centrale pas assez intégrée. L’éclairage est fourni à l’avant par un phare Marchal alimenté par le volant magnétique et à l’arrière par un feu Italien CEV que l’on peut également trouver sur les Guzzi V7; V7S et 850 GT, sur les Ducati monocylindres et 750 S ainsi que sur les MV 350 et 750. L’autonomie en carburant (200 km environ) est délivrée par un réservoir de 13 litres rouge sombre métallisé équipé de panneaux chromés et de larges grippe genoux. Le garde-boue avant est chromé et l’arrière est gris clair sans bavolet.

L’ensemble de la presse spécialisée a souligné les qualités techniques de cette petite française mais s’est montrée un peu acerbe sur l’aspect « grosse Mobylette » de la 125 standard. Il est vrai que le dessin des culasses donnait une impression de « déjà vu ». Mais pourquoi changer ce qui marche ? Voyons maintenant les diverses évolutions qui ont emmené le bicylindre jusqu’en 1980.

1971, la 125 L


La L diffère du modèle standard par le bouchage du trou situé sous le filtre air et par une batterie protégée par deux carters t le en forme de losange. Des clignotants Saker apparaissent, fixés sur des pattes soudées sur le guidon semi relevé. Le volant est, bien sûr, équipé d’une bobine réservée la charge batterie. La diode Zener est fixée sur un radiateur généreusement ailetté fixé sous le réservoir. Pas d’autres changements.
Premières modernisations. La moto est désormais livrable en trois couleurs très « printanières ». L’acheteur a le choix entre le bleu Pyrénées, le vert Normandie ou l’orange corail. Les clignotants descendent au niveau du T inférieur de la toute nouvelle fourche Telesco sans soufflets. Inversion de présentation des garde-boue: peints et de taille légèrement réduite pour l’avant et chromé avec adjonction d’un petit bavolet pour l’arrière. Les ergots de béquille s’encastrent dans des évidements prévus à cet effet dans les pots. Le filtre à air devient noir. Le guidon, réversible, permet une position sportive ou une position plus décontractée. Dans les deux cas l’angle de celui ci est trop ouvert et casse un peu les poignets. Le changement marquant, coté moteur, est l’apparition d’un embrayage renforcé rappelé par six ressorts hélicoïdaux plus raides que l’ancien ressort à diaphragme et un léger agrandissement des canaux de transfert. La puissance passe à 14 chevaux.

1973, la 125 LT1

   

Modification du dessin des culasses qui deviennent plus anguleuses tout en conservant l’ailetage en chevron hérité de la SP 98. Un nouvel élargissement des canaux de transfert permet d’obtenir 16 chevaux. L’embrayage gagne un cinquième disque qui implique le montage d’un carter gauche légèrement élargi. Le tube qui termine les silencieux d’échappement est prolongé et dépasse maintenant de 8 cm.

1974, la LT2

 

Adoption de nouvelles culasses ailettes longitudinales. graissage séparé alimenté par une pompe située au centre du carter moteur sous les carbus. La variation de débit d’huile est commandée par la rotation d’un tambour entra né par un câble relié la poignée de gaz. Celui-ci est muni d’une rampe hélicoïdale double qui assure, en cas de rupture du câble un passage automatique au débit maxi. Le réservoir d’huile, dont la capacité supérieure 2 litres permet d’y vider complètement un bidon standard du commerce, est logé sous la selle. Nouvelle version d’allumage beaucoup plus fiable que la précédente avec des bobines dite « noyaux de vide » et des nouveaux blocs désormais rectangulaires.

1975, la LT3

Changement de look avec un nouveau réservoir privé de panneaux chromés remplacés par des décors autocollants. Retour chez Ceriani pour la fourche équipée désormais d’un frein à disque inox Grimeca de 260 mm de diamètre. La clef de contact prend place sur la patte droite du phare. Légère réduction du volume des garde-boue dont l’avant est fixé à l’aide d’une nouvelle tringle en tôle emboutie. La LT3 sera la dernière de la lignée. Fabriquée jusqu’en 80, les derniers modèles vendus (au compte goutte) seront peints d’un gris argent à décors rouge très classe et surtout équipés du moteur initialement destiné à la LT4, jamais mise en production. Ce groupe propulseur, est identique au précédent mais inversé:sélecteur à gauche et frein à droite. Quelques moteurs de ce type seront également vendus au titre de la réparation. Des roues Grimeca en alliage léger coulé seront proposées en option. Heureux sont ceux qui possèdent ce modèle aujourd’hui !

La 125 à l’étranger

Notre petit bicylindre national a bel et bien traversé les frontières. J’ai retrouvé sa trace sur des documents anglais et allemands. Dans les deux cas, c’est la version L qui est représentée. Je me rend régulièrement au Veterama de Mannheim, qui est la plus « Kolossal » bourse d’échanges allemande, voire européenne. Depuis deux ans, le même vendeur essaie de replacer une épave de 125 L démunie de ses papiers et de tout marquage, mais agrémentée d’un panneau PEUGEOT. J’ai essayé sans aucun succès de le convaincre de son erreur !

La LT3 Coupe

Fabriquée à 500 exemplaires (juste la quantité nécessaire pour être homologuée et courir les critériums) la version coupe est née de la volonté du constructeur de développer une épreuve de promotion destinée à lancer des jeunes pilotes dans la course pour un coût raisonnable. Par rapport à la LT3 normale, la machine bénéficie d’un équipement coursifié : carénage intégral, commandes reculées, guidons bracelets fixés sur les tubes de fourche. Environ 50 exemplaires seront livrés équipé d’un ensemble selle-réservoir en polyester, le réservoir d’huile étant intégré dans le dosseret de selle. Le moteur reçoit un boîtier de sélection renforcé et des carburateurs équipés d’un kit de transformation (référence Gurtner 850).

 

Les prototypes

Début 80, quelques photos d’un hypothétique prototype de la LT4 circulent dans la presse spécialisée. Ce modèle à l’esthétique entièrement remodelée ne rentrera jamais en production, tué dans l’œuf par les difficultés financières que commence à connaître la firme. Un grand nombres de prototypes essayant des solutions nouvelles ont circulé. Entre autre, cette version de la LT3 à clapets.

Ce moteur délivrerait une puissance d’environ 16 chevaux, mais serait beaucoup plus « plein » à moyen régime. Des essais ont été également effectués avec un seul carburateur, un Gurtner diamètre 22 en magnésium fixé sur une pipe en V. Les résultats obtenus étaient les suivants : perte de 1 CV, gain de souplesse, de 1 à 2 litres au cent en consommation et obtention d’un ralenti exemplaire. Un volant électronique de 100 watts, destiné à supporter un phare à iode est également resté dans les cartons.

La course

Motobécane a élaboré divers modèles de course. Tout d’abord avec un moteur dérivée de la série pour la RAI construit avec l’aide de Charles Marandet, et pour la 125 S. Ensuite avec des moteurs spécifiquement grand prix jusqu’à l’obtention d’une deuxième place au championnat du monde. Mais ceci est une autre histoire.

Années de production

Ce texte a été publié dans le bulletin « Motobécane Obsession » n°3, octobre 97